Paolo Assenza - Miroirs de la peinture
Comme de nombreux plasticiens contemporains, Paolo Assenza rejoint l’homme universel de Léonard par la variété de ses pratiques. Il n’en est pas moins, de son propre aveu, peintre avant toute chose. Sa formation auprès d’artistes abstraits lui a donné une infi nie rigueur dans la disposition des lignes et, ensuite, des figures, fruit d’un long et patient travail d’atelier. Au fil des ans, d’ombres qu’elles étaient, projetées sur la toile avec l’exactitude voulue par la fille de Dibutadès, ces figures, ces fragiles images humaines ont quasiment disparu sous la fragmentation des lignes. Depuis peu, elles commencent à se matérialiser, à prendre corps – à quitter l’aplat pour suggérer, imperceptiblement, le volume. Non que les ombres des hommes deviennent reconnaissables même si les nombreux profils ont toujours eu vocation à être des portraits. Comme dans “homo videns”, la matérialisation de la figure, timide, hésitante, évite le visage souvent dissimulé, encapuchonné, appréhendé de dos ou réduit à une simple forme, la matrice de l’ovale ou du cercle. Seuls prennent réellement “chair” les rares objets indispensables au décor et, notamment, les sièges des figures assises : le divan de Dialogo a tre, le tabouret de Gates rappellent les chaises des mannequins assis de l’installation de l’Ecole Normale Supérieure, accessoires uniques parce qu’indispensables à leur présentation. Les tissus, eux aussi, s’animent, se plissent pour attester la vie qu’ils recouvrent (la robe rouge de Gates, le blouson de l’étude préparatoire ici présentée). Témoin tangible de cette présence corporelle, l’ombre portée de cette dernière étude donne à la figure une solidité concrète comme si Peter Schlemihl avait retrouvé son ombre et Hoffmann son reflet sans que l’un et l’autre regagnent pour autant leurs âmes abandonnées au diable. Dibutadès, Peter Schlemihl, Hoffmann, Narcisse : la peinture de Paolo Assenza nous ramène à la fable, à la fabula, à l’origine même de l’image.
Par-delà cette rapide évolution de son style, le peintre nous maintient dans un monde un et familier. Persistent notamment, au fil des tableaux, ces mystérieux carrés transparents, formes rémanentes, à la fois cadres, miroirs et écrans. Elles sont les conditions du dédoublement d’une même figure, répétée ou réfléchie. Elles sont aussi la cause de l’isolement des personnages puisque l’écran est une présence qui attire l’oeil au détriment de l’autre. La femme de Dialogo a tre tente vainement d’attirer le regard de son compagnon, happé, frontalement, par quelque écran situé, une nouvelle fois, en lieu et place du spectateur et signalé par ses lunettes rouges. “homo videns”. De fait, à observer les installations de Paolo Assenza, ou ses vidéos, on aurait pu concevoir une correspondance entre une obsession contemporaine (la télévision) et des médiums contemporains (l’installation et la vidéo). Il n’en est rien. Le peintre affronte aussi bien le thème des médias dans ses toiles qui opposent aux périssables images de la télévision la séduction d’une technique millénaire : les velature, ces couches de couleur si fines qu’elles atténuent les tons sans masquer le dessin. L’univers médiatique de la peinture est notamment symbolisé par une couleur acrylique, le bleu d’une pièce inondée la nuit par la lumière de la télévision. Ce bleu est si bleu, si présent et glacé qu’à son contact on croit voir le rouge évoluer en teinte froide.
A travers ses installations, ses vidéos et ses peintures, Paolo Assenza constitue un monde infiniment cohérent, son univers. Cet univers est cohérent à tel point qu’on ne peut pas ne pas trouver trop belle la part que l’artiste abandonne, dans son propre discours, au simple hasard – à moins de donner à celui-ci une toute nouvelle définition :l’observation, prélude au choix.
Dialogo a tre, peinture acrylique sur toile, 2010
Il gioco di Marie, peinture acrylique sur toile, 2010
Sans titre, étude préparatoire, peinture acrylique sur canson, 2010