Entretien avec Françoise Boillot-Malarewicz

Publié le par Julien Magnier et Marie-Christine Pavis

 

Comment travaillez-vous ?

 

        Actuellement, je dessine régulièrement, dessins à l’acrylique sur papier. Avant, je travaillais essentiellement à l’huile sur toile – une question de place, d’argent. J’ai toujours le même bonheur à peindre, dessiner. J’aime à me « perdre » en toute lucidité, dans la forme et la couleur… Je me donne un thème, le cerne, l’approfondis, le nuance. Dire par d’autres pigments, d’autres formats… des variations, des différences, des presque riens.

        Mon rythme de travail ? C’est variable. Des périodes « un peu » tous les jours, des périodes avec beaucoup d’heures presque « jour et nuit », une plongée… un vertige… et enfin et surtout, de longs passages sans aucune production. En général, je sais exactement l’image que je veux réaliser, mais il arrive que je sois embarquée par ma peinture vers autre chose que je n’avais pas prévu, et c’est tant mieux ! Derrière chaque toile, il y a toutes les toiles envisagées et imaginées et qui n’ont pas vu le jour, et qui en appellent d’autres.

        Dans l’exécution d’une toile, il y a constamment  des choix à faire, des renoncements, des pertes, c’est un vrai combat, une aventure, un affrontement avec harmonies, doutes, bonheurs, calmes, douleurs, jouissances…

 

 

Vous dites que vous pouvez rester des années ans peindre. Mais qu’est-ce qui fait qu’à un moment, on se lance dans un grand chantier ?

 

        Les moments où j’ai beaucoup peint sont ceux où j’étais seule, parfois dans une période douloureuse, ou le contraire… J’ai besoin de vide, de disponibilité… J’ai monté une précédente exposition à la Salpêtrière en trois mois seulement. Là, j’ai dû travailler dans l’urgence, toutes les nuits… J’ai adoré. Les images surgissent, s’enchaînent dans l’exaltation, se font toutes seules. J’aurais alors aimé ne faire que peindre, peindre et encore peindre.

 

 

Que pensez-vous du choix de salles thématiques, ce qui amène à rapprocher des tableaux parfois très différents ?

 

        Mon travail est thématique, donc pas ça ne pose pas de problème. Que Julien Magnier et Anaïs Goudmand puisent dans mes tableaux, fassent un choix et des rapprochements que je n’avais pas prévus, ça m’intéresse, ça m’amuse aussi, et peut-être que je vais voir mon travail autrement. Alors très bien, étonnez-moi !

 

 

 Pour monter cette exposition, il a fallu extraire des toiles faisant partie de grandes séries. Comment vous êtes-vous résolue à cette fragmentation ?

 

        Effectivement, j’ai souvent décliné les offres d’exposition de groupe. En général, on ne prend que deux ou trois toiles d’un artiste, ce qui produit un patchwork détonnant où les toiles se tuent les unes les autres. Ici, cette fragmentation n’en est pas une car il s’agit toujours de mon travail, un « puzzle »  aux pièces interchangeables. Il est vrai que mon rêve serait de voir toutes mes toiles ensemble, puisque je ressens vraiment mon travail comme un tout – une grande toile !

 

 

Vous dites souvent que vos tableaux forment un tout, sont « de la même famille ». Quel lien de parenté y a-t-il entre par exemple des embryons peints il y a vingt ans et des lieux de mémoire ou des effigies d’hommes politiques réalisés aujourd’hui ?

 

        Oui, car ce qui m’intéresse, c’est la vie : son pourquoi, son comment, son déroulement…. La joie, le tragique, le quotidien. Cet intérêt pour la vie englobe tout ce qu’il y a de biologique, de viscéral, de géographique, d’historique, d’intime, le dedans, le dehors. Tout communique, s’interpénètre. Bien sûr, pour moi il y a dialogue entre les tours de New York et les fœtus, entre l’humain, l’animal, le végétal, le minéral. On fait partie de tout cela et tout se tient. Montrer le corps, c’est aussi montrer la matière, la matrice, l’idée, l’historicité, la temporalité, le déroulement… et ceci avec des arrêts sur image, insistance de répétitions, avec pauses et reprises, donnant un silence, une vibration, un rythme, une musicalité…

 

 

Passer des années sans exposer, est-ce que ce n’est pas aussi une façon d’éviter les réactions des spectateurs ?

 

        Peut-être et même certainement, mais c’est surtout que ma motivation première n’était pas d’exposer mais la nécessité, le plaisir de peindre, de transmettre. De plus, les réactions négatives de ceux qui voyaient mon travail – à l’exception de certains proches – ne me motivaient pas à montrer. Tout du moins pas n’importe où, pas n’importe comment : plusieurs participations à des expositions collectives m’ont donné l’impression de ne pas servir ma peinture. Et pendant plus de vingt-cinq, j’ai démarché pour exposer les images de fœtus et d’accouchements, sans succès.

 

 

Vous parliez d’une exposition « qui sert ». Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

 

        Servir n’est peut-être pas le bon terme. Je crois légitime d’attendre un échange, que le spectateur prenne un peu de temps, soit disponible. C’est agréable de percevoir une émotion chez celui qui regarde, même si ce n’est pas la réaction escomptée. Or on rencontre parfois de l’agressivité chez des spectateurs. De mon côté, je ne peins pas pour agresser ; je sais que certaines de mes toiles dérangent, mais déranger et agresser, c’est différent. J’aimerais qu’un dialogue s’instaure autour de quelque chose à comprendre.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
exposition très forte, personne ne peut rester indifférent<br /> un vrai regard, un travail novateur
Répondre